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16/12/08

14 Décembre 2008 , Rédigé par AAR - AUBENASSON

Bonjour. les périodes où l'activité est réduite permettent de diverger un peu et de transmettre des messages qui ont leur valeur.
Celui-ci émane d'un jeune pilote qui relate un vol tangent côté météo mais laisse discerner un homme de grande valeur. Je le lui ai dit. Il en autorise  la diffusion. Je saute sur cette occasion car cela montre que même dans les circonstances pénibles que nous vivons il y a toujours des hommes qui nous donnent des exemples de leur grandeur.
De plus il fait ça bénévolement je crois car il dit que son salaire c'est le bonheur de faire ces missions. En effet c'est dans le cadre de transport d' organes humains pour des greffes urgentes.

Voici ce texte.

Nous sommes dimanche soir. Il est 23h35 et je viens de dire au-revoir à deux copains venus diner. Et oui, on essaie de faire semblant d'avoir une vie sociale dans l'aviation d'affaires ! Je range tranquillement l'appartement quand sonne mon téléphone. C'est Nicolas (nous l'appellerons comme cela), un commandant de bord de la compagnie.
- Salut PH, on est déclenchés pour deux organes sur Lyon, décollage à 1h locales je devrais être là vers minuit et quart.
Pas de problème pour moi, je suis même plutôt heureux d'avoir eu la soirée tranquille (j'aurais aussi bien pu être appelé à 21h pendant le plat principal !). J'enfile ce que Jan appelle "l'habit de lumière" et prends le chemin du terrain. Pas trop long, j'ai 5 minutes de voiture...
Arrivé au terminal corporate d'où nous partons, je passe le filtre de sûreté (très utile...) et me rends aux opérations. Il n'y a plus personne à cette heure avancée, juste les "pistards". On reçoit nos plans de vols techniques ("log de nav") par fax, ainsi que la météo et les notams. Je trie tout cela en attendant Nicolas, prépare l'enveloppe de vol dans laquelle on mettra tous les papiers pour les envoyer à notre service opérations, les devis de masse et centrage etc... Pendant ce temps, le pistard sort l'avion du hangar, l'amène sur le parking et supervise le plein des réservoirs. On partira à presque la masse max, 4 médecins et les glacières à bord.
Quand nico arrive, il m'apprend qu'il y a contre ordre : on ne pourrait pas repartir de Lyon à cause du brouillard prévu (moins de 150m de visibilité) donc on va à St Etienne. D'ailleurs les plans de vol sortent du fax en même temps.
Vers 1h les médecins arrivent, on embarque et on part. Il y a une petite ombre au tableau : les prévisions météo pour le retour sont franchement mauvaises : 200m de visibilité et plafond au sol... Or il nous faut 700m de visi mini et un plafond vers 200fts serait plus approprié pour voir la piste...
Le voyage aller se fait sans histoires, tout est "nominal" comme disent les savants. L'arrivée sur l'ILS 18 à St Etienne se fait à la main, faut bien que j'apprenne le métier !
Les médecins partent en taxi pour l'hopital et nous trouvons refuge au bureau de piste bien au chaud (c'est loin d'être la règle, souvent la nuit sur les terrains tout est fermé et l'on dort dans l'avion, qui est plus ou moins à température extérieure). La contrôleuse nous donne même la dernière météo du Bourget, qui n'est pas fameuse.
Avant de faire une petite sieste, nous étudions les minimas opérationnels dans le bouquin vert qui nous sert de bible.
Vers 5h, l'équipe médicale nous prévient par téléphone qu'elle reprend la route, nous allons donc chercher les météos à jour et là...
Le Bourget : visi 200m plafond au sol, brouillard givrant
Charles de Gaulle : visi 100m plafond au sol, brouillard givrant
Orly : visi 600m, plafond 200fts (60m, le mini du mini pour nous), brouillard givrant
Bon, sur Paris même on a 9 chances sur 10 de ne pas voir la piste arrivés aux "minimas", où nous devons cesser notre descente... Voyons autour :
Beauvais est bouché, Reims, Vatry, Rouen sont inaccessibles également.
Premier terrain posable : Nantes.

On commence à expliquer aux médecins la situation météo (on les avait prévenus avant le départ du risque existant). Ils nous expliquent la leur : Il y a en région parisienne une fille de 14 ans qui rejette sa greffe de poumons et qui, si on ne peut lui ramener ceux prélevés cette nuit, restera sur le "billard". Et il y a une patiente qui n'a plus de foie et a déjà fait 2 arrêts cardiaques depuis qu'on est partis de Paris et qu'elle est en préparation pour recevoir un greffon.
Douche froide. C'est la première fois qu'on me donne ce genre d'infos. j'ai les organes à côté de moi sur le tarmac (enfin dans des glacières, quand même !) et je me sens désespérément impuissant. Il y a bien un TGV qui part dans 20 minutes de St Etienne pour Paris, mais ce sera trop long pour les poumons et de toutes façons on est à 25 minutes au grand minimum de la gare, même avec l'escorte gendarmerie.
Il est maintenant 6h et on a appelé le coordinateur national des transplantations pour essayer de retarder le TGV, lui demander son avis sur les possibilités alternatives (la ligne à Lyon, le TGV suivant pour le foie...) Par acquis de conscience et fiévreusement nous appelons la météo du Bourget qui vient d'ouvrir (avant c'étaient des observations automatiques instrumentales). Le monsieur dans le téléphone nous dit qu'il y a au moins 2000m de visi et le plafond est à 200fts. Pas d'hésitation, nous partons.
On met tout le monde dans l'avion, on cale les glacières, on met en route, on roule vers la piste et je décolle en moins de 5 minutes.
Vue d'en haut la situation est très claire : au nord de la Loire s'étend un tapis uniforme et ininterrompu de nuages bas et de brouillard. Il y a intérêt à ce que ça passe...
Nicolas, qui fait la radio, négocie avec Paris pour se poser face à l'ouest au Bourget car les minimas sont plus bas que face à l'est. En Piste 27 il nous faut 700m de visibilité de piste contre 800m en piste 07. Mais surtout, on peut descendre jusqu'à 200fts alors que face à l'est on doit s'arrêter de descendre et remettre les gaz à 430fts.
Problème : orly et Roissy posent face à l'est... Dès qu'il s'annonce "évacuation sanitaire, deux organes urgents à bord", tout se démèle, on nous promet l'approche voulue, la plus grande assistance etc... Ce sont des moments très gratifiants car on mesure ce qu'entrainent nos actes.
Arrivés à 200km du Bourget, avant de descendre Nicolas contacte en radio la tour du Bourget pour leur demander une météo très récente, savoir s'il prépare un dégagement vers Orly en cas de remise de gaz. La tour lui répond qu'un avion a remis les gaz en 07, mais qu'il a refait un tour et vient de se poser, ayant vu la piste vraiment au dernier moment. Le contrôleur ajoute qu'il ne nous conseille pas de poser en 27 car, si l'on peut descendre plus bas, la visibilité est très basse de ce côté du terrain, alors que face à l'est on a au moins 4000m de visibilité. Donc plus de facilités à voir le balisage de la rampe d'approche et de la piste.
Après rapide concertation, nous changeons donc notre fusil d'épaule et préparons l'arrivée face à l'est. Le contrôle, toujours aux petits soins pour nous, nous donne des caps plutôt racourcis pour aller intercepter l'ILS qui nous emmènera au seuil de la piste 07 sur le bon axe et la bonne pente.
Je fais l'approche en automatique, pour garder plus de disponibilité mentale (va y en avoir besoin s'il faut remettre les gaz à moins de 150m de hauteur). L'avion capture l'axe et la pente (localizer et glide slope) et nous sortons les volets ainsi que le train. Par contre nous éteignons tous les feux exterieurs pour bien voir la lumière de la piste.
1000fts sol, on est dans le gris foncé, 700fts, on est dans le noir, 600fts, on aperçoit en dessous les lueurs de la ville. C'est ce moment que choisit le pilote automatique pour perdre l'acquisition de l'ILS. Cela arrive parfois pour diverses raisons (notamment l'age de l'avion et de l'équipement certainement) mais là je rigole pas car nous dévions
vers le bas et la droite. Je récupère donc l'avion à la main, pendant que nous passons 450fts sol. Là c'est sûr va falloir remettre les gaz. Mais le captain dit "rampe en vue". Je regarde dehors... On voit dans une brume épaisse quelques lueurs jaunes des éclairages publics et, droit devant, un axe avec une barre transversale qui aboutit au
début d'un rectangle de lumières. On voit la rampe d'approche et le début de la piste. Peut-être 50m de piste, pas plus. Mais tout cela n'a duré qu'une fraction de seconde, le captain annonce "minimas", je réponds "on poursuit" alors que je suis déjà replongé dans mon tableau de bord pour suivre les instruments. Bien garder la vitesse
(105kts), rester bien centré sur l'ILS. à 100fts du sol, je relève la tête pour finir à vue, on pose plutôt doux, on dégage la piste et roule au parking.
Et voilà, les deux patients vont pouvoir recevoir leurs greffons et peut-être (on l'espère) continuer à vivre... Les médecins sont très contents et nous le font savoir en attendant leur ambulance. Nous bâchons l'avion pour la nuit... euh, la journée (il est 7h45) et nous allons dormir.

Ce vol est une grande leçon à bien des égards. d'un point de vue technique, la gestion de météos limites, de nuit (peu de terrains ouverts, info météo peu sûre car souvent basée sur des machines automatiques...) est la principale. La seconde est la gestion d'une approche aux minimas, finie à la main dans une concentration plutôt intense, avec à chaque instant en tête la préparation de la remise de gaz. Et puis il y a la leçon humaine...
Et la sensation d'avoir volé utile, et pas qu'un peu.

Sur ce, je vais dormir...


Yvan rajoute: Que c'est beau...et réconfortant de voir que des Guillaumet, Reine, Mermoz et bien d'autres existent encore. Tecumseh tu peut acheter de la pommade; il en faut un paquet pour ce Monsieur.
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F
Superbe récit   qui est à marquer d un profond respect, le mot merci paraît bien faible, parfois certains silence sont plus évocateur! merci Yvan  et à l'auteur 
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